mercredi 22 janvier 2014

Eclat



Le soleil effleure les dunes avant de s'enfoncer dans le sable et disparaître de l'horizon.
Les flammes, qui dansent comme pour mimer le crépuscule, prennent le relais de l'astre dans une nuance plus chaude encore, illuminant et réchauffant les visages sublimés par cette divine étincelle propre à l'Inde que je peux percevoir dans ces yeux toujours captivés par le spectacle du feu.

D'autres étincelles rejoignent les flammes dans des mouvements si délicats que cette chorégraphie m’hypnotise tandis que les cendres virevoltantes viennent parfumer délicatement le chai maintenant en ébullition, comme mon cœur, apaisé mais pourtant excité par ce paysage inconnu, tellement irréel avec ce silence et cette beauté originelle plaçant tous mes sens dans un état transcendantal.
Sensation élevée à l'état de grâce par cette nuit passée dans le désert du Thar au creux des dunes où la voie lactée rajoute des éclats dans mes yeux esquissant des larmes de bonheur comme pour propager la joie de vivre cet instant.
Jaisalmer, la ville dorée, apparaît tel un mirage dans ce paysage. Son imposant fort, surplombant la cité, augure des heures de contemplation et déambulation sur cette toile jaune pleine de vie où il me semble peindre un nouvel instant indescriptible à chaque pas que je fais.

Le Rajasthan en guise de conclusion à ce voyage autour de l'Inde et du Népal est une formidable introduction à cette nouvelle année. Un bouquet final rythmé par des rencontres toujours plus captivantes, des expériences inoubliables et le sentiment de devoir rentrer un peu trop tôt...


mardi 31 décembre 2013

Treize à la douzaine


13 heures. Et des brouettes. Naviguant depuis Allepey sur les backwaters du Kerala, notre embarcation , dont l'hélice a remplacé la roue du temps, s'apprête à accoster sur la rive au nord de Kollam.
Nous voilà rendus, avec mes deux potes de route depuis Auroville, à l'ashram d'Amma (Sri Mata Amritanandamayi Devi), figure emblématique de l'Inde, pour une petite pause en passant.
Le complexe est assez impressionnant par ses bâtiments de 15 étages et le nombre de fidèles présents afin d'apercevoir Amma, ou de recevoir son darshan. Par chance, il reste une chambre disponible qui semblait nous attendre. Ce sera au 13ème étage. Chambre 13. Code de la porte : 1378.  Nous sommes bien à notre aise et voyons la vie en treize.
En ouverture de ce symbolique festival, nous sommes invités à venir méditer sur la plage auprès d'Amma qui apparaît, rayonnante, au milieu de son escorte. Chanceux que nous sommes, nous avons l'occasion de recevoir un darshan improvisé sur la plage, après moins de cinq minutes d'attente alors que le majorité des pèlerins patiente quotidiennement de longues heures tant la foule se presse pour se faire presser par ses bras enchanteurs.
Cette étreinte, bien que de quelques secondes, m'emplit cependant de lumière alors qu'Amma récite une prière à mon oreille, et il me semble un instant être « soulevé par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour »*.
C'est alors que nous mesurons notre chance. Et réalisons la date du jour . Vendredi 13/12/13. Cela me vaut un fort et haut « amazing »!

Il en est de même pour le Kérala, région tellement envoûtante. Je remarque tout de suite l'authenticité et l’accueil chaleureux des kéralais, pour la plupart religieusement ornés de deux bandes de cendres sur le front encadrant un tika jaune et rouge, les hommes portant tous le lungi, et qui se font un plaisir de nous aider dès que l'occasion se présente. Ici, Shiva et Ganesh côtoient Jésus tout naturellement, leur effigie ornant chaque maison, restaurant ou bus, entourée d'un collier de fleurs.
La végétation luxuriante offre des fruits dont je n'avais même pas eu vent, comme ces succulents corossols (custard apple), et ceux que je croyais connaître m'offrent des symphonies de saveurs insoupçonnées :  bananes roses, ananas, noix de coco, grenades, avocats, fruits de la passion, mangues, papaye... Un plaisir pour le palais, une médecine pour le corps.

La prochaine étape est plus longue et toujours aussi fortunée. Je suis mes travelmates, toujours dans le Kérala, non loin de Trivendrum, tout au sud de l'Inde, dans un ashram dédié aux gourous Swami Sivananda et Swami Vishnudevananda (Sivananda Yoga Vedanta Dhanwantari Ashram) pour un séjour placé sous le signe du yoga et de la méditation, dans un cadre idyllique au milieu de la jungle -où je fais d'effrayantes rencontres avec des arachnides que les latitudes du sud rendent exponentiellement géantes, de même que mes cris d'épouvante raisonnant dans le dortoir, ces yeux-à-yeux soustrayant instantanément 5 de mon karma emprunt de 13-  et abritant un lac promettant des séances de natation complémentaires aux quatre heures de yoga quotidiennes. Avec également trois heures de méditation et chants ainsi qu'une heure de bénévolat où je m'initie au service en restauration, les journées sont bien remplies et permettent de se vider de toute tension et de se remplir d'énergie positive et rayonnante.
Une formidable expérience m'initiant aux bienfaits du yoga et de la méditation, la résonance céleste du mantra « Om » m'emplissant d'un positivisme à toute épreuve. Mon corps m'en remercie encore!

Vient le temps de Noël, auquel nous n'échappons pas même ici, les nombreuses églises du coin prônant de magnifiques crèches et les habitants décorant leur maison avec guirlandes lumineuses (à LED la plupart du temps), et certaines fois.... Pères Noël blafards pendant aux fenêtres comme pendus haut et court. Je résiste cependant à l'envie de les délivrer.
Nous décidons de rejoindre l'état de Goa réputé pour son ambiance festive, ses plages de sable fin et ses sublimes  paysages.

Dans le train nous menant à destination, le vent me tranche le visage alors que les essieux rivalisent avec la voie, l'acier contre acier claquant comme un combat d'épée, les rails résistants aux assauts incessants des roues sous d'épiques étincelles illuminant les abords du convoi alors que mon lecteur mp3 me fait vibrer les tympans au son d'Epica, le métal symphonique sublimant ce duel infini.
Comme si notre chance nous avait quittés, nous nous attardons peu à Goa, assistant à des teufs trance agonisantes se transformant souvent en hard-tech démodée, les touristes se ghettoïsant au sein des plages-quartiers surpeuplées -certaines réservées aux Russes-, les commerçants patibulaires affichant des prix prohibitifs, les policiers tentant de nous racketter ça et là... mais où est passée l'Inde?

Afin d'en retrouver l'essence, je décide de reprendre la route du nord et Delhi, pour un jour de l'an plus heureux sur mon 13 -enfin, sur mon 31- avec mes deux hôtes de couchsurfing lors de mon arrivée en septembre...Bonne année!

* Nicolas Bouvier, L'usage du monde

Album photo ici

mercredi 11 décembre 2013

Instantané



Deux yeux globuleux émergent timidement à la surface et scannent les alentours comme le ferait le périscope d'un sous-marin avant de refaire surface. Ils s'élèvent bientôt au dessus du sable, perchés sur leur promontoire sans fin, ces deux colonnes semblant annoncer quelque symbolique rencontre.
Le décapode sort de sa cachette. Couleur sable, c'est d'une invisibilité déconcertante qu'il entreprend quelques pas mesurés sur la plage humide. Il se fait appeler le crabe fantôme. Sa démarche est si précise, lui maintenant une assiette constante, chacune de ses pattes absorbant le moindre relief. Ce sont bientôt des dizaines de périscopes qui entrent en action alors que l'océan roule des vagues dans un accent tamoul grondant sur la plage et postillonnant une écume salée jusque sur les crabes, esquivant la douche d'un gracieux mouvement latéral.

Lorsque j'ouvre les yeux, sortant de ma méditation, je me retrouve entouré par ce monde fascinant évoluant comme un ballet autour de moi, observant le quotidien de ces crustacés en immersion rapprochée.  Techniquement équipés de dix pattes, ils ne réveillent en rien mon arachnophobie dont le chiffre huit résonne telle une épouvante sans fin.
Lorsque j'entreprends un mouvement de jambe, bien moins délicat que mes nouveaux compagnons, ces derniers sont alors bien vite alertés par leurs tours de contrôle, et leur belle lenteur se transforme en une stupéfiante chorégraphie parfaitement synchronisée, rejoignant d'une rapidité déconcertante leur abri souterrain. La beauté de cette vie me fait sentir présent, je n'ai besoin de rien d'autre à cet instant.

Cette session matinale au pied du temple de Mahabalipuram me met en énergie pour la journée, et surtout me détend après les deux nuits passées dans le train depuis Calcutta dont les souvenirs illuminent toujours mon esprit :
Trente-et-une épiques heures en compagnie de centaines de voyageurs s'empilant comme on jouerai à Tétris, la sempiternelle musique A, B ou C* remplacée par les cris des Achalandeurs et Brocanteurs ou le sifflement du Cargo. Magnifique tableau que ces dos, épaules ou jambes offerts à l'autre, véritables oreillers humains illustrant une générosité innée dans l'acceptation  d'une rude condition, ou que ces orteils perdus au milieu des sacs de voyages sur le porte bagages, me convaincant un instant d'avoir trouvé Charlie.
Comme si chaque expérience était couronnée d'un cadeau divin, me voilà témoin, lors de ma descente du train, d'un cortège funèbre incroyablement animé, déambulant  avec joie dans les rues pour célébrer l'accès du défunt à une nouvelle étape de son existence, ses proches mettant de côté leur égoïste tristesse en jouant de la musique, dansant et chantant tout en inondant la ville d'une marée florale et multicolore.

Après une étape a Calcutta et une virée dans les Sundarbans au cœur des mangroves du plus vaste delta du monde où les enfants étonnés de ma présence m'emmenèrent dans des danses effrénées lors d'un concert de musique traditionnelle, j'ai rejoint le sud et Auroville, communauté expérimentale et internationale fondée en 1968 avec un fort projet d'unité humaine, que peux sentir présente lors de mon séjour ici.

Mon exploration dans le sud de l'Inde continue, avec en prévision une étape yoga en ashram, encore une histoire à passer dans le présent pour le futur !




mardi 19 novembre 2013

Maître bison


Un premier tambour résonne sur la place animée du village. Le tumulte fait soudain place au silence. Trois percussions s’emboîtent le pas, bientôt accompagnées de cymbales nous plongeant dans une ambiance plutôt dramatique. Le bison se plie sous ses assaillants. À présent couché, on lui lie les pattes si fort que ses ligaments lui valent des convulsions d’incompréhension virant au désespoir lorsqu'il comprend l’intention des hommes dans leur regard empreint d’une détermination pourtant bienveillante.
La lame fend l’air, effleure l’échine l’espace d’un dernier souffle avant de traverser l’animal déjà pétrifié mais tellement digne dans l’acceptation de son sort. Un épais liquide rouge, rouge rubis, éclatant sous ce soleil matinal, se répand sur l'ocre parvis de briques devant les effigies divines , comme un tapis rouge invitant l’âme à paître vers de nouveaux cieux.
Les derniers spasmes sonnent le glas des percussions. La famille remercie l’animal et honore les dieux par des offrandes de fleurs, de fruits, de maïs et d’argent.  Et ce jeune bison qui de son sang illumine le parvis du temple d’un rouge si puissant mais pourtant si reposant, parfaite combinaison de pigments, devenue éphémère à l‘instant même de l'incision. La beauté violente de cette scène inspire le respect dans la manière dont l’animal est traité et remercié lors de sa mise à mort. (Cela ne m’aide cependant pas à me réconcilier avec la viande)
J’ai alors une pensée pour ces bisons et cerfs de la jungle de Chitwan où je passai quelques jours un peu plus tôt, mets substantiels d’un  félin à rayures qui d’une vitesse désarmante appose sa griffe sur le cuir en ouverture du festin, pour finalement laisser quelques restes aux rapaces  ménageant un second service. Cette sagesse paradoxalement brutale me rappelle la douce puissance de l’éléphant au pas si discret que même un rongeur ne l’entendrait arriver, qui de sa trompe m’arrosait lors de ce bain privilégié dans la Rapti river.

Pour l’heure, c’est plutôt une douche d’huile et un bain de couleurs qui m’attendent au sein de la famille de Buddhi, mon guide lors du dernier trek. Du don de son corps le bison a procuré à toute la famille de la bonne viande à l’occasion du Tihaar, festival de cinq jours et moment fort dans la tradition népalaise. En ce cinquième jour, le Bhai Tika, les frères offrent cadeaux et argent à leur soeur.
Ma grande soeur d’adoption me pose un tika à sept couleurs, avant d'entamer tous ensemble la tournée des maisons du village en chantant et dansant, toute la nuit ; je n'ai pourtant pas vu de muguet, mais je me crois bien le 1er mai, la gnôle locale en prime !

Les adieux se font proches avec ma famille d'adoption. Et toujours difficile à accepter sans un pincement au cœur, d’autant plus qu’ils sont nombreux ces-temps ci : Susanne, la famille de Deu, et autant de moments partagés qu’il conviendra de se souvenir mais de ne pas regretter.
Le voyage continue, toujours dans la jungle mais à l'allure plus urbaine, où les bisons sont plus futés que sauvages et où le sang est remplacé par les feux stop des voitures klaxonnant comme pour sacrifier les tympans des passants luttant pour échapper à ces bestiaux de fer à l’haleine pestilentielle et dont les effluves irritent mes poumons en pleine récupération post-altitude.

Direction l’Inde, qui m’appelle de plus belle et me susurre de faire un tour du côté de sa pointe. Avant cela, séjour imposé à Kathmandu quelques jours en attendant les élections parlementaires qui viendront calmer le climat social et les grèves, et libérer la route et les bus comme on libérerait Dean Moriarty de toute attache à bord de sa Cadillac 47.
Séjour qui me laisse le loisir de réécouter Moriarty, le groupe cette fois, et de me remémorer la philosophie du bison : sois fier de ton nom, sois toi même, va où tes pas te mènent, fais comme tu le sens !

Album photo ici

lundi 4 novembre 2013

Euphorie


4 heures. Le matin. Le réveil de Susanne entonne un air espagnol accompagné d’une vibration raisonnant tel un marteau-piqueur dans mes oreilles pourtant isolées par le sac de couchage momifiant. Un titre de Rammstein aurait été bien plus motivant -cliché s‘il en est, tout allemand ne devrait-il pas écouter sans relâche la discographie complète du groupe ? Je tente de reprendre le contrôle de mes pieds engourdis par la température allègrement négative régnant dans notre igloo en toile, que le fin duvet de mon cercueil à plumes peine à combattre. Les cristaux de glace formés à l’intérieur de la tente scintillent sous la lumière blanche de ma Petzl, me convainquant un instant d’avoir passé la nuit à la belle-étoile.
En m’extirpant de ce tombeau de toile et de glace mêlés, un sentiment de résurrection m’envahit lorsque le froid pinçant vient chatouiller mes os et les milliards d’étoiles d’un ciel à la pureté indescriptible s’imprimer dans mes yeux produisant alors des larmes de reconnaissance.

Le temps est clair et la journée s’annonce splendide pour partir à l’ascension du Larke Pass, 5106 mètres. Cette nuit passée à 4500 mètres d’altitude suffit amplement à s’acclimater, bien que d’amples mouvements de thorax viennent fréquemment trahir un faible niveau d’oxygène que mes poumons peinent à réguler de manière autonome.
L’effort estompe cet inconvénient, et chaque palier franchi se fait plus euphorisant pour mes sens alors sublimés par ce silence, cette puissance, cette beauté pure et simple, en somme ce moment présent si intense qu’il fait totalement le mental se taire ainsi que toute pensée bruyante ou dérangeante. Entre nous, nul besoin de parler, nous sommes reliés par le même fil sacré menant au sommet ultime du plaisir qui nous anime alors.
La clémence du climat, nous accompagnant depuis le début, nous autorise une pause chaleureuse, le temps d’accrocher un drapeau de prière tibétain en pensant à nos proches, si loin et pourtant si présents dans nos cœurs. La vertigineuse descente ne nous fait en rien regretter cette épopée qui durera encore quelques jours.

Le Manaslu trek, encore peu convoité par les groupes occidentaux avides d’aventure dont les colonnes vertébrales ont bon dos à la vision des porteurs qu’ils acculent pour certains de valises à roulettes à titre de chargement, reste authentique et monte progressivement en intensité.
Accompagnés de notre guide Buddhi, les traversées des traditionnels villages népalais, animés par les enfants, les yaks et les troupeaux de chèvres de paysans labourant leur champs tel Charles Ingalls, nous ont définitivement immergés dans la culture locale, alors même que les rivières nous offraient des coins paradisiaques où se baigner tenait plus du symbole que de la nécessité, que les bananiers géants abritaient des araignées tout aussi démesurées mais effrayamment magnifiques de leur parure et de leur charisme, que les champs naturels de cannabis aiguisaient notre intérêt sans toutefois nous droguer -la montagne s’en chargeant, que les soirées étoilées étaient sublimées par d’étranges lueurs volantes, luisantes comme des vers éponymes (plus coléoptères que vers)  nous effleurant, et que les panoramas se succédaient de jour en jour, tous différents et captivants.
Côté communication, chargé que j‘en fus et lorsque la montagne nous laissait reprendre notre souffle, celle-ci oscillait entre anglais, allemand, français, népalais et même espagnol ; j’ai pu m’exercer à donner des cours de français tout en apprenant quelque chanson traditionnelle népalaise, réviser mon allemand avec un plaisir avoué, ou encore approcher les basiques de l’espagnol que Susanne parle couramment.

De quoi oublier rapidement la journée passée en bus pour accéder au sentier, marquante à souhait : 
Prenons un bus Tata de 30 places, dont la hauteur de plafond oblige à courber l’échine pour rester debout. 80 personnes. 1 nouveau-né. 45 sacs de voyages, sacs à dos, sacs de ciment, paniers de légumes... 2 chèvres. 2 immenses pneus de tracteur. Une cage avec 6 poules. 1 piste boueuse à la dénivellation à même de faire pâlir le maillot à pois et aux ornières abyssales, à l’aplomb de la falaise. 2 roues motrices seulement, obligeant le conducteur à prendre de l’élan lors des passages délicats. 10 heures de trajet. 10 heures de musique népalaise sonnant comme un appel à la transe, aidant à l’acceptation du voyage et au maintien du sourire et de la bienveillance des passagers... 
Nous obtenons une expérience inoubliable, avec une mention spéciale pour les voyageurs du toit, se retrouvant la tête dans le vide lors du balancement du bus dans les ornières, alors même que je m’imaginais à bord d’un vieux coucou en voyant le vide à travers le hublot, ainsi qu’au conducteur ajoutant un succès à son tableau !

Il est temps pour moi de remiser chaussures de marche, sac à dos de 20 ans d’âge -qui a gardé l’esprit boyscout d’antan- et chaussettes usées jusqu’à la corde et nécessitant quotidienne réparation à l’aide de mon kit de couture de survie -call me the fixator-, équipement contrastant dans ce duo franco-germanique qui se sépare, du moins pour le moment -non sans difficulté. Susanne s’en va fouler l’Everest, quant à moi, je vais profiter de quelques semaines supplémentaires au Népal pour m’immerger dans la campagne lors du Tihaar, le festival des lumières en l‘honneur de Yamraj, le dieu de la mort, et Lakshmi, déesse de la fortune et de la prospérité, avant de rejoindre l’Inde par le Nord, direction le Sud... A priori. Rien ne sert de planifier...

vendredi 18 octobre 2013

Accord sanguin


Un doux son d’eau ruisselante se faufile au milieu des chants des oiseaux et des grillons animant gaiement la forêt tropicale d’un accord universel que chaque être compose de sa note. Le ruisseau, alimenté par la mousson tardive de ce mois d’octobre, déborde sur l’ocre chemin serpentant au sein de cet écosystème s’accordant parfaitement avec le chant de la Terre.
Se dégageant du flot, un corps tout en longueur se fraie un passage en joignant ses deux extrémités avant de s’allonger et recommencer ce pas bringuebalant plutôt amusant. D’une profonde couleur bordeaux, cet étrange animal à la démarche peu assurée et semblant errer au milieu du sentier a cependant de la bouteille au vue des reflets rouges dévoilés par le soleil venant frapper sa translucide peau ornée de multiples anneaux, suggérant une certaine expérience dans la chasse à l’or rouge.
Soudain, cet annélide de la famille des hirudinées se dresse sur sa ventouse postérieure à la recherche d’un corps à sang chaud qui passerait par là. Il ne tarde pas à s’agripper à la semelle d’une chaussure de marche se posant brièvement à quelques anneaux de distance, et dont le cuir dégage une chaleur  lui faisant accélérer brutalement ses deux cœurs, sentant sous cette peau morte et tannée une autre bien vivante et abritant l’hémoglobine salvatrice.
De pas en pas, de ventouse en ventouse, la sangsue escalade la croûte de cuir et se faufile entre les lacets afin d’atteindre l’orée de la chaussette où elle pourra trouver, tout près de la cheville, une fine peau facile à transpercer. L’endroit repéré, ses trois mâchoires pratiquent une incision chirurgicale tandis qu’elle injecte un anesthésiant ainsi qu’un anticoagulant, nécessaire à la bonne conservation de ce nectar rouge qu’elle est sur le point de prélever.

Voilà une petite heure que je foule le sentier népalais menant au camp de base Annapurna, parti seul pour un trek d’une dizaine de jours à l’assaut des contreforts himalayens, quand une démangeaison au départ lancinante devient plus intense, me forçant à vérifier ce qui se trame. Mon nouveau statut d`hôte me fait sentir moins seul , cependant mon sang ne fait qu’un tour avant que j’ôte ce petit vampire peu avenant venu à mon insu s’agripper à ma cheville. En me relevant, un cordial Namaste m’accueille, suivi d’un autre, plus occidental dans le ton. La conversation s’engage avec Susanne, Allemande à l’énergie débordante, et son guide et ami népalais Deu, en route vers la même destination, et qui m’adoptent rapidement, du sang neuf étant toujours le bienvenu, pour former un trio franco-germano-népalais.
Je n’aurais pu rêver de meilleure équipe ! Nous n’avons pourtant pas mélangé notre sang lors de quelque cérémonie initiatrice, mais l’entente, les échanges et les moments passés ensemble sont intenses et magiques. Deu, plus ami que guide, nous plonge dans un réel échange culturel sans aucune censure tout en nous prévenant des sans-issues, des arrivées sens dessus-dessous en bas des pentes glissantes, et nous laissant suer à bon rythme toute énergie négative qui persisterait encore, pour un trek sans-souci. La bonne humeur allemande me vaut des fous-rires à m’en faire palpiter et la synergie qui s’opère me persuade que du sang germanique coule dans mes veines.
Après les premières sangsues que nous finissons par enlever sans sourciller bien que parfois s’accrochant aux sourcils, viennent des moments hors du temps à observer les singes langurs sacrés, à découvrir les plus hauts sommets himalayens dévoilés par le soleil levant transformant la neige en écorce orangée et accompagnés d’une mer de nuages recouvrant une forêt tropicale débordante de vie, ou encore à profiter d’une cascade au milieu d’un coin de paradis -que les touristes ne connaissent ni d’Ève, ni d’Adam-  pour sobrement entreprendre la douche la plus revigorante qui soit -défendue s’il en est.
L’ascension progressive nous mène à L’Annapurna Base Camp, dont l’altitude de 4130m stimule notre production de globules rouges mais surtout nos sens bouleversés par la puissance de la montagne dévoilant ses plus beaux atouts et nous accueillant sur son épaule par un fantastique panorama que notre chance nous permet d’observer grâce à un ciel dégagé, n’omettant pas quelques flocons de neige lors de notre départ le lendemain matin, comme pour agiter un mouchoir blanc sur un quai immaculé.
Le retour vers des hauteurs plus conventionnelles nous offre bon nombre de surprises et l’occasion de partager de forts moments lors des célébrations du Dasain, le festival népalais le plus important de l’année en l’honneur de la Déesse Durga, et d’être accueillis dans la famille de Deu lors des quelques jours de transition nous permettant d’apprendre à cuisiner l’authentique Dal-Bhat dont nous nous régalons quotidiennement, et préparant le prochain trek, décidés à suer de plus belle au milieu de cette nature toujours aussi intense et surprenante que les innombrables permis et autorisations nécessaires -et surtout-très-chers- exigés pour y pénétrer, bien que nous glaçant le sang, peinent à nous décourager.

Prochaine destination le Manaslu circuit, 5106m, pour deux semaines que mes lymphocytes attendent avec impatience, tant pour les fous-rires que l’altitude !



jeudi 3 octobre 2013

L'Essence des sens

Le scintillement éclaire mon œil gauche par éclairs, et ma pupille a bien du mal à gérer l’exposition. Dans un mouvement circulaire régulier, la pale dessine des cercles parfaits ponctués par les reflets de la lumière, près de 300 à la minute, et a parcouru bien des kilomètres depuis les quelques heures que je suis là à l’observer.
Je m’extasie devant ce superbe ballet où des centaines de pales décrivent des cercles ; les pâles ventilateurs alignés sur la poutre du hall formant un blanc troupeau que seuls quelques spécimens nuancent par leur pelage noir.
Dans une fenêtre de quelques secondes, le jingle -le sempiternel tadaa de Windows- retentit, emboité par les annonces de la gare. Alors que les ventilateurs suivent leur train-train et que les hauts parleurs sont toujours en train de jouer les deux stridentes trompettes que Bill aurait bien dû mettre à la porte*, les voitures du train défilent lentement le long du quai avant  de ralentir, s’arrêter doucement et marquer un léger retour en arrière à l’image d’une bande vidéo qui arriverait en fin de piste.

En approchant de cet immense convoi bleu serpentant le long du quai, j’aperçois des centaines de mains s’accrochant ou dépassant des barreaux bleus -s’il en est, usés par tant de soutien- et annonçant en arrière plan autant de visages, d’expressions, de messages et de regards fascinants qui à l’instant où je monte me scrutent pour la plupart. Les tubes du plafond projettent mon ombre comme le soleil tournerait autour d’un arbre. Le temps s’arrête lorsque j’atteins ma place ; mon ombre est alors confinée autour de mes pieds, et le soleil diffuse sa chaleur au travers des ventilateurs remuant un air chaud et humide dont l’accélération apaise tous les visages. 
A ma droite, une famille nombreuse habite la banquette, une belle image que ces quatre générations réunies ; en face de moi, deux étudiants, dont le costume et l’écusson trahissent une grande école universitaire, et qui s’empressent de m’aborder pour pratiquer leur anglais et surtout me demander, des étoiles dans les yeux, si j'occupe un poste d'ingénieur dans mon pays. La locomotive sonne le départ, le convoi s’ébranle, la fréquence sonore de l’énorme moteur diesel accélère exactement à la manière d’un moteur à vapeur. L’odeur de l’échappement me rappelle cependant vite le type de moteur concerné. Les trompettes se taisent. La conversation s’engage. Elle est interrompue ça et là par la musique de musiciens qui méritent un brin d'attention et quelques roupies, les vendeurs de masala chai, sadosa et autres délicieux mets, les mendiants, mutilés, enfants, les cohues des arrêts en gare et le contrôleur qui de son stylo appose la couleur du train sur mon billet.
Après un festival des cinq sens, titillés par les odeurs tantôt ragoutantes tantôt nauséeuses et la sensation de l’air s’engouffrant au travers des barreaux, s’éparpillant et flirtant avec les pales toujours tournoyantes d’un bleu accordé à la voiture dont les passagers composent de leur présence une magnifique toile colorée et animée sur fond bleu, les chants de la locomotive rivalisent avec la violence des crissements des freins annonçant la première phase d’entrée en gare, l’odeur de frein brûlé annonçant la seconde ; tandis que les réguliers soubresauts des jointures du rail me bercent jusqu'au sommeil au troisième étage de cette couchette superposée.
Bientôt, la lueur du jour traverse mes paupières qui ne tardent pas à s’ouvrir. Où suis-je? Difficile de le dire même si une gare se présente souvent, toutes les dix minutes environ, le panneau en Hindi venant encore plus me troubler les sens. Les multiples arrêts sont l’occasion de voir le tableau coloré s’animer au gré des discussions, accrocs, cris et rires vibrant sous le soleil levant se profilant à l’horizon, tout rond, orange et zébré de noir, plus à l’œil qu’à l’appareil photo, muni lui d’un objectif lumineux ouvrant à f/2 et estompant les barreaux traversant le champ.
Entre les arrêts, c’est l’occasion d’admirer de somptueux paysages les pieds pendant, fendant l’air, assis sur la marche de la porte.

Nous voilà arrêtés au milieu des voies, et l’agitation générale indique une arrivée imminente à Varanasi la mystique, haut lieu spirituel, comptant parmi les sept villes saintes de l’hindouisme.
La brume lancinante s’élève du Gange en enveloppant les fidèles qui accomplissent leur puja au lever du soleil et s’adonnent à leur bain rituel en bas des ghat. Plus en aval, c’est de la fumée qui s’élève, en même temps que les âmes atteignant le moksha, récompense de tous les efforts fournis par leur corps venu mourir ici.
Magique dévotion qui flotte sur Varanasi où, entre deux orages rappelant la mousson phénoménale de cette année, et les jeux de labyrinthe dans les gali, ces tortueuses ruelles menant aux ghat (Bill lui-même se serait perdu*), je fais de belles rencontres (aussi j’apprends à rester centré lors de rencontres moins fructueuses), baigné d’une puissante énergie karmique.
Énergie qui me propulse jusqu’au Népal, sur les rotules après 2 jours de bus que mes genoux n’oublieront pas de sitôt tant l’espace entre les sièges est compté et les routes qui n’ont de route que le nom mais que les rotules des bus Tata affrontent toute l’année !

* N'hésitez pas à me notifier tout jeu de mot trop capillotracté.

Album photo ici